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Asli Erdoðan, écrire et vivre libre

La romancière turque Asli Erdoðan, qui sera présente au salon Livre Paris, recevra, vendredi 16 mars, les insignes de chevalier des Arts & Lettres des mains de Françoise Nyssen. L’occasion de revenir sur le parcours de cette femme d’exception, qui met son exigence poétique et sa lucidité au service d’un combat obstiné pour la liberté.

Dans un roman magnétique et incantatoire paru en 2009, Asli Erdoðan évoquait un lieu de terreur où l’on se retrouve pris au piège, le « Bâtiment de pierre » – autrement dit, la prison stambouliote de Barkirköy. En août 2016, à l’aube de ses 50 ans, la romancière turque est arrêtée et se trouve incarcérée dans ce sinistre bâtiment pour « propagande » et « appartenance à une organisation terroriste ». Son délit : avoir écrit dans un journal pro—kurde (Ozgür Gündem) pour clamer son indignation et dénoncer les atteintes à la liberté d’opinion. Provisoirement relâchée dans l’attente de son jugement – son verdict sera lu le 10 mars prochain – Asli Erdoðan risque, comme d’autres intellectuels turcs, la prison à vie. « Il y a encore environ 180 écrivains et journalistes en prison, et d’autres sont sur des listes d’attente », rappelait—elle lors d’une interview sur RFI au mois d’octobre dernier.

Grande voix de la littérature turque, physicienne de formation, Asli Erdoðan, a choisi de mettre son ton mordant et son intelligence exceptionnelle au service de la défense des droits humains. Ce combat pour la liberté, mené en Turquie, lui a valu, en France, le prix Simone de Beauvoir, une récompense adressée chaque année à une action qui défend et fait progresser la liberté des femmes. « On lui doit d’avoir, pendant des années, parlé des massacres, des tortures. On lui doit de ne pas se taire. On lui doit de continuer à dénoncer les agressions faites aux femmes » a déclaré Sihem Habchi, présidente du jury, le mercredi 10 janvier dernier, lors de la remise du prix. « Connaître le nom d’Asli Erdoðan est un honneur, relayer ses mots un devoir », a—t—elle ajouté, avant de saluer l’ensemble des « femmes, intellectuelles, artistes qui se battent pour la liberté ».

« Avant les punitions pleuvaient ; maintenant, c’est les récompenses », a observé Asli Erdoðan, non sans humour, au cours d’un entretien avec l’agence de presse DHA. Sortie pour la première fois de Turquie le 20 septembre dernier après s’être vu confisquer son passeport pendant près de deux ans, elle a pu se déplacer, notamment à Paris, pour recevoir le prix Simone de Beauvoir en mains propres. La romancière s’est également rendue à la réception donnée par la ministre de la Culture à Paris à l’occasion de l’invitation de la France à la foire de Francfort. Françoise Nyssen n’a pas manqué de saluer chaleureusement cette invitée de choix : « compte—tenu de ce que vous avez vécu, je tiens à vous dire que vous nous faites un grand plaisir, et un grand honneur par votre présence ce soir ».

Le 18 mars, Asli Erdoðan sera présente au salon Livre Paris, aux côtés de Kamel Daoud – autre grande figure de la dissidence – pour dialoguer autour de l’exercice d’écriture dans le monde d’aujourd’hui. Car avant d’être une figure de la résistance, elle reste un très grand écrivain « Si l’on veut écrire, on doit le faire avec son corps nu et vulnérable sous la peau », écrivait—elle dans Le Bâtiment de pierre. Cette vulnérabilité brute, la romancière la déploie dans une écriture poétique et puissante, presque fiévreuse. Asli Erdoðan évoque la guerre à travers l’intime, comme on le fait rarement. « Je suis allée en prison car je n’ai pas pu rester sourde et muette, juste parce que j’avais parlé des atrocités commises dans une petite ville kurde où 150 personnes ont été brûlées vives. Je suis toujours en procès et menacée d’une peine de prison à vie car j’ai rassemblé les cris et les cendres de ces personnes et j’en ai fait de la littérature », a—t—elle rappelé lors de la remise du prix Simone de Beauvoir.

Depuis son arrestation, Asli Erdoðan n’écrit « plus beaucoup », de son propre aveu. « Cela revient doucement. Je n’ai plus voulu écrire en turc mais j’ai pu écrire un discours en anglais et je me rends compte que je vais beaucoup mieux depuis le mois de septembre, depuis que j’ai quitté la Turquie. J’arrive à lever un peu les yeux, à regarder l’horizon, alors qu’avant je ne m’autorisais même pas à rêver d’avenir », a—t—elle reconnu lors d’une récente rencontre au Centre national du livre. Heureusement, « l’écriture est une sale habitude dont il est difficile de se débarrasser ». Un aveu touchant, qui fait écho à un magnifique passage d’un de ses derniers livres Le Silence n’est même plus à toi : « L’aube finira par se lever, disent—ils. Mais l’aube ne peut sortir que de la nuit ».

http://www.culture.gouv.fr/Actualites/Asli—Erdogan—ecrire—et—vivre—libre

8.3.2018


 

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