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Le Mandarin miraculeux

«Je crois bien que cette nuit j’ai perdu la boule. C’est la deuxième fois que je crois voir une femme borgne», dit un Turc ivre. Mais il ne rêve pas: dans la rue marche une femme, Turque égale—ment, à l’oeil caché par un bandage. L’er—rance de cette émigrée amoindrie passe à Genève. L’écrivaine stambouliote Asli
(pro¬noncer «Asleuh») Erdogan situe dans la cité d’Henry Dunant son dernier roman, Le Mandarin miraculeux. Rue de Lausanne, la vieille ville, la Jonction: le roman turc visite Genève, fait rare dans la littérature du pays du Bosphore. Asli Erdogan (née en 1967 à Istanbul) donne chair à une paumée avançant dans le noir — elle préfère la nuit au jour —, hantant des lieux mal famés, écri¬vant le soir au bistro. C’est pour fuir les in¬terdits de son pays qu’elle—a filé en Suisse.
A l’arrivée, toutefois, la vie ne se montre pas tendre. L’exilée connaît une liai¬son qui foire. La femme esseulée erre, écar— telée entre ses cauchemars et le constat d’une jeunesse gâchée. Celle dont l’infirmité effraie les gens ressent à son tour une peur aiguë du moment que le manque d’amour s’avère intolérable. Asli Erdogan signe le ro¬man d’une perte, d’un deuil abyssal. Et çà et là, l’auteure sort des phrases assassines sur Genève: nombre de gens y ont l’air d’articles de supermarché, pareils sous des embal¬lages différents. Plus loin, Erdogan dépeint de façon acerbe la situation des jeunes issus de l’immigration habitant les Pâquis: «Ils poussent comme des graines tombées sur un sol étranger qui ne veut pas d’eux. De—puis leur venue au monde, ils vivent une tragédie cachée. A quinze ans, ils jettent sur le monde des regards de quinquagénaires.» Toujours au sujet des Pâquis, la Stamboulio¬te colle une étymologie bidon à ce quartier, soutenant que «Pâquis» vient de «Pakis¬tan». Chacun son slum, sa croix de paria, donc. Erdogan décrit un monde sans cohé¬rence où chacun peut à n’importe quel mo¬ment se croire déplacé. Le personnage prin¬cipal iâche: «Mon docteur a peut—être raison. Je dois prendre les choses trop à cœur».

1.1.2006
MARC—OLIVIER PARLATANO


 

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